Aventure dans les monts Torngat

Sarah Bergeron-Ouellet

2025-03-16T11:00:00Z

Le décor? Des montagnes spectaculaires et des fjords parsemés d’icebergs. L’aéroport? Une piste d’atterrissage construite par l’armée américaine durant la Deuxième Guerre mondiale. L’hôtel? Un camp de base entouré d’une clôture électrique à l’épreuve des ours polaires. La route? Quelle route? Bienvenue dans le parc national des Monts-Torngat, dans le nord du Labrador, au cœur du Nunatsiavut.

«Il n’y a aucune communauté, le parc est complètement sauvage, m’explique le superintendant Gary Baikie lors de mon arrivée dans le fjord de Saglek. Il n’y a pas de signalisation, il n’y a pas de sentiers, il n’y a pas de pistes, et on a l’intention que ça reste comme ça.»

Sarah Bergeron-Ouellet
Sarah Bergeron-Ouellet

Originaire de la communauté inuite de Nain, Gary Baikie est celui qui me souhaite la bienvenue au Torngat Mountains Base Camp and Research Station après un vol en Twin Otter au départ de Happy Valley — Goose Bay. Ce camp de base situé à l’orée du parc se compose de tentes et de vdômes de glamping ainsi que de bâtiments destinés aux scientifiques, au personnel de Parcs Canada et aux touristes.

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C’est ici, sous une tente prospecteur, que se déroule la première activité de mon séjour: un cours 101 sur les ours polaires.

«On voit des ours polaires à travers le parc tout entier, assure Gary. On en a vu jusqu’à 3800 pieds (1158 m) d’altitude et on a même vu un couple à 100 km à l’intérieur des terres.» Il y a aussi les ours noirs, ajoute-t-il, les seuls au monde à vivre au-dessus de la limite des arbres... et à considérer les humains comme de la nourriture.

Au cours des jours à venir, chacune de nos sorties hors du camp de base se fera donc en compagnie de gardes anti-ours inuits (bear guards). «Les bear guards ne sont pas seulement là pour nous protéger, précise le superintendant, ils sont également là pour protéger les animaux. Nous ne voulons tuer aucun ours, alors ne vous placez pas dans une situation nous obligeant à abattre un ours polaire.»

Sarah Bergeron-Ouellet
Sarah Bergeron-Ouellet

«The Land», le territoire

Créé en 2005 et couvrant 9700 km2, le parc national des Monts-Torngat n’est pas la destination de Parcs Canada la plus connue, et les touristes qui se rendent dans cette enclave subarctique sont rares. Ils se limitent à environ 600 par année, la majorité dans le cadre de croisières d’expédition avec Adventure Canada, One Ocean Expedition ou Students on Ice. Les autres sont soit des aventuriers, soit des chanceux (comme moi) prenant part à un voyage d’exploration avec une compagnie comme The Torngats durant la brève saison estivale.

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Le nom de Torngat vient du mot inuktitut «Torngait» qui veut dire «endroit où les esprits demeurent». De fait, ce territoire d’aurores boréales, d’icebergs fantasmagoriques et de sommets découpés au couteau a, de tout temps, été fréquenté par les Inuit.

Aujourd’hui exploité par une équipe 100 % inuite et accueillant des jeunes, des familles et des aînés du Nunatsiavut et du Nunavik dans le cadre de différents programmes, le parc propose une expérience des Torngat «à travers une lentille culturelle inuite» et permet à la communauté de retourner sur une terre ancestrale. «La mission du parc, insiste Gary Baikie, est de s’assurer que la terre natale des Inuit est gardée intacte, et que leur histoire est racontée.»

Barrett & MacKay / Newfoundland-and-Labrador Tourism
Barrett & MacKay / Newfoundland-and-Labrador Tourism

Les secrets de Silluak

C’est un ciel bleu et blanc qui m’attend, le lendemain, pour ma première sortie à la découverte de cette immense terre sans arbres. Si les excursions dans le parc se font parfois à pied ou dans les airs, aujourd’hui, c’est en bateau que nous quittons le camp de base. Quand les premiers icebergs apparaissent sous mes yeux, suivis des parois verticales de 900 m de haut du fjord de Saglek, je réalise dans quel pays magique j’ai le privilège de m’aventurer.

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Sarah Bergeron-Ouellet
Sarah Bergeron-Ouellet

Notre destination du jour se nomme Silluak, ou North Arm, et on dit que c’est l’un des endroits les plus époustouflants du parc. Nous débarquons au creux des montagnes en compagnie de guides et de gardiens, et avançons à la queue leu leu au cœur de l’immensité nordique.

Silluak est un lieu d’une grande importance historique et culturelle en raison de ses vestiges. Les paysages ont beau avoir l’air complètement intouchés, quelque part sous la végétation délicate se trouvent d’anciens abris de chasse pour guetter le caribou, des caches à nourriture, des cercles de pierre pour ancrer les tentes, et même des tombes traditionnelles inuites.

© Parcs Canada / Guillaume Paquette-Jetten
© Parcs Canada / Guillaume Paquette-Jetten

Les monts Torngat — dont une partie se situe au Québec dans le parc national Kuururjuaq — cachent un grand nombre de sites archéologiques comme ceux-là, certains vieux de près de 7000 ans. «Il y a eu quelqu’un avant nous pratiquement partout où nous mettons les pieds, me fait remarquer Gary Baikie.»

Notre randonnée nous mène jusqu’à un magnifique lac turquoise (où j’ose une petite trempette dans l’eau à 5 °C!), puis sur un rivage rocailleux où l’on partage un repas d’omble arctique fraîchement pêché par nos accompagnateurs, sous la supervision discrète mais constante des gardes contre les ours.

Sarah Bergeron-Ouellet
Sarah Bergeron-Ouellet

Jusqu’au mont le plus haut

Les randonnées comme celle-là ne sont qu’un des types d’activités offertes sur le territoire. Parmi les autres choses qui attendent les visiteurs, il y a les (incroyables) vols en hélicoptère comme celui qui me mène, le soir même, jusqu’au mont D’Iberville — ou Caubvick —, le plus haut sommet du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador avec ses 1652 mètres acérés.

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Il y a aussi les soirées de rencontres (et de rires) avec les invités inuits, où l’on s’initie aux jeux traditionnels, comme le coup de pied en hauteur ou la course de phoque, et où l’on peut parfois assister à des «chants de gorge», ces jeux vocaux généralement pratiqués en duo par les femmes inuites.

Il y a également les repas dans la salle à manger commune, où on peut échanger avec les guides et les autres visiteurs, et les feux de camp où tout le monde se rassemble en espérant assister, ne serait-ce qu’un instant, au grand bal des aurores boréales.

L’histoire récente

Au jour quatre du voyage, l’expérience qui nous attend est une visite à Hebron, l’un des huit hameaux fondés autrefois par les missionnaires moraves (des frères protestants d’Europe centrale) sur les côtes du Labrador. Situé hors du parc, le lieu historique national du Canada de la Mission-de-Hebron témoigne d’une histoire d’évangélisation, puis de relocalisation forcée.

Sarah Bergeron-Ouellet
Sarah Bergeron-Ouellet

Créée vers 1830 dans «la grande baie» et habitée par des dizaines de familles inuites durant les décennies suivantes, la collectivité de Hebron a été fermée par le gouvernement en 1959, sans consultation avec la population, qui a dû s’installer plus au sud du Labrador.

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«Ma grand-mère a vécu à Hebron», me raconte Andrew Anderson, coordinateur de l’expérience client et bear guard au parc national des Monts Torngat. La plupart des familles de Hebron ont été forcées de partir vers des régions boisées différentes de leurs terres ancestrales, qui n’étaient pas préparées à les accueillir et dont les lieux de chasse et pêche étaient déjà occupés.

Pour Andrew, parler de ce déracinement n’est pas facile. «Ça fait remonter des souvenirs familiaux, me confie-t-il, mais en même temps, c’est gratifiant d’éduquer les gens et de constater qu’ils se soucieraient [de ces réalités] si seulement ils étaient au courant.»

À Hebron, on peut lire les excuses officielles du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador — présentées 46 ans après les faits — sur une plaque commémorative plantée près des bâtiments de bois qui ont résisté au temps et au froid.

Dans mes bagages

«Souvent, me dit Andrew une fois de retour au camp de base, les visiteurs qui viennent ici ne réalisent pas comment les gens ont pu survivre ici autrefois sans équipement moderne, et à quel point ils sont profondément liés à cette région. Quand ils en prennent conscience, je pense qu’ils repartent avec cela en eux.»

Sarah Bergeron-Ouellet
Sarah Bergeron-Ouellet

Je rapporte assurément plus qu’une caméra remplie d’images dans mes bagages au moment de mon départ. Au cours des derniers jours, j’ai vu des aurores boréales, aperçu des traces de caribous, posé les yeux sur la crête du mont D’Iberville et admiré les bleus glacés de dizaines d’icebergs. J’ai même vu, de mes yeux vu, un ours polaire nager comme une sirène dans la mer du Labrador!

Sarah Bergeron-Ouellet
Sarah Bergeron-Ouellet

Mais ce sont les échanges avec nos hôtes qui auront été les plus marquants. Les échanges, et le regard différent qu’ils m’auront fait poser sur ces grandes montagnes sauvages et isolées «où les esprits demeurent».

INFOS PRATIQUES

Sarah Bergeron-Ouellet
Sarah Bergeron-Ouellet

  • La «saison touristique» est courte au camp de base des monts Torngat. Elle va de la mi-juillet au début de septembre, environ.
  • Au moment où nous écrivons ces lignes, les détails concernant les séjours pour la saison 2025 n’ont pas encore été dévoilés. L’an dernier, des forfaits tout compris de trois, quatre ou sept jours étaient proposés, avec des prix démarrant à 8900 $ par personne. On peut surveiller les mises à jour sur la page thetorngats.com
  • Pour en savoir plus sur le Nunatsiavut, territoire autonome géré par les Inuit de Terre-Neuve-et-Labrador: nunatsiavut.com.
  • Pour en savoir plus sur la mission de Hebron: pc.gc.ca, thecanadianencyclopedia.ca.
  • Pour en savoir plus sur le parc national des Monts-Torngat: parcs.canada.ca, ww.newfoundlandlabrador.com, thetorngats.com.

© Parcs Canada / Guillaume Paquette-Jetten
© Parcs Canada / Guillaume Paquette-Jetten

Ce voyage a notamment été rendu possible grâce à Parcs Canada,The Torngats et Tourism Newfoundland and Labrador.

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