« Mon amie fréquente un gars toxique, que faire? »
Élise Fiola
Grave, insidieuse et perfide, la violence conjugale est un sujet dont on parle de plus en plus, mais qui demeure entouré de tabous et de préjugés. «Pourquoi reste-t-elle avec lui? Ne s’aime-t-elle pas assez pour le quitter? Comment l’aider à partir?» Lorsqu’une amie ou une personne proche de nous se retrouve prise dans les filets de son partenaire, c'est parfois difficile de savoir comment s’y prendre.
«L’année dernière, près de 53 000 demandes d'aide ont été reçues par SOS violence conjugale, au Québec», rappelle Claudine Thibaudeau, travailleuse sociale et responsable de la formation et du soutien clinique chez SOS violence conjugale. Depuis 1987, près de 900 000 demandes ont été comptabilisées dans la province.
Pour la travailleuse sociale, ces chiffres sont criants et témoignent de l’ampleur du problème: «La violence conjugale touche tout le monde d’une façon ou d’une autre: soit on en a vécu ou on en vit aujourd’hui, soit on a grandi dans une famille où il y en avait, soit on est proche d’une personne qui en vit ou en a vécu. Et ça, c’est quand on n’est pas dans plus d’une de ces situations à la fois.»
Claudine Thibaudeau nous éclaire sur cette réalité souvent invisible. Elle démystifie les signes à surveiller et indique les actions à poser.
Comment reconnaître les signes?
Les signes de violence conjugale peuvent être nombreux et variés. Chez ceux qui en sont victimes, on peut observer des manifestations physiques, comme des blessures fréquentes, dont l'explication semble floue ou changeante. D'autres symptômes sont liés à la santé de façon générale : fatigue chronique, tensions musculaires, maladies fréquentes, douleurs chroniques ou troubles digestifs.
Sur le plan émotionnel, une amie victime de violence conjugale peut paraître stressée, anxieuse, déprimée ou en perte d'estime de soi. L'irritabilité et des crises d'angoisse peuvent aussi se manifester.
Les changements comportementaux sont aussi à surveiller. Si une personne de notre entourage semble éviter ses proches, répond moins aux messages qu’on lui laisse ou paraît confuse quant à sa relation, cela peut être un indice. Une alternance entre des récits de conflits avec son partenaire et une minimisation de ces incidents est également un signal d'alerte important.
L'une des stratégies employées par l'agresseur est de diminuer l'autonomie de la victime, la poussant à remettre en question ses propres choix. Cela peut se traduire par une hésitation à prendre des décisions simples ou une peur des réactions du partenaire.
Comment aborder une amie qui semble vivre de la violence conjugale?
Il est crucial de ne pas imposer une vision extérieure de la situation à la victime, mais plutôt de lui offrir un espace d'écoute bienveillant. Les partenaires violents imposent leur perception des choses; l'entourage doit, au contraire, encourager la victime à exprimer ce qu’elle ressent et à prendre conscience par elle-même de ce qu'elle vit.
Poser des questions ouvertes et reformuler ses propos peut l'aider à réfléchir sur sa situation sans se sentir jugée. Il est essentiel de respecter son rythme et ses décisions, pour lui permettre de regagner du pouvoir sur sa vie. Autrement, on lui rappelle que du soutien est disponible et qu'elle n'est pas seule. Ces simples affirmations peuvent faire une différence.
À quel moment peut-on dire qu’une relation est violente?
La violence conjugale ne survient pas soudainement. Elle est généralement présente dès le début, bien qu’elle puisse être difficile à détecter. Les comportements de contrôle peuvent être subtils et même se dissimuler sous des gestes d'affection. Par exemple, offrir un téléphone à sa partenaire peut sembler anodin, mais si cela sert à surveiller ses déplacements, c'est un signe de contrôle. Avec le temps, l’engagement qui se solidifie (emménagement, partage de responsabilités financières, enfants) rend la sortie de la relation plus compliquée. Ce n’est pas une perte de contrôle de la part de la victime, mais bien une volonté de domination sur l’autre de la part de l’agresseur.
Comment réagir si on est témoin de violence?
Dans le cas de violence psychologique ou verbale, il est préférable de ne pas faire de commentaires devant l'agresseur, mais on peut en parler ensuite avec la victime. Par exemple, si son partenaire lui fait des remarques dévalorisantes, on peut lui dire après coup : «je veux que tu saches que ce qu’il dit n’est pas vrai» ou «au contraire, ce que tu as dit était pertinent». L'objectif est de l'aider à conserver une image positive d'elle-même et à remettre en question l'influence négative de son partenaire, sans toutefois lui imposer quoi que ce soit.
Si une agression physique est en train de se produire, il faut appeler le 911 immédiatement, sans hésiter.
Qu’est-ce qui explique que certaines victimes restent tout de même avec leur agresseur?
De nombreuses raisons poussent une victime à rester, mais l'une des principales est la peur. Dans une situation de violence conjugale, le danger est réel, et souvent, les victimes craignent plus de partir que de rester. Elles redoutent les représailles, la violence post-séparation, et savent que le risque peut aller jusqu'au féminicide. C'est pourquoi la rupture doit être une décision prise à leur rythme, sans pression extérieure.
Bien qu’on ait souvent l’impression que de quitter son agresseur fera cesser la violence, cela n’est pas nécessairement vrai. Dans bien des cas, la violence peut s'intensifier après la rupture. Les agressions peuvent prendre d'autres formes, comme des conflits juridiques interminables, des menaces ou des stratégies de manipulation émotionnelle, surtout si des enfants sont impliqués. Leur but est souvent de rendre la rupture tellement difficile que la victime finit par retourner vers son agresseur, pensant qu'elle n'a pas d'autre choix. Il est donc crucial que la victime puisse bénéficier d'un encadrement et d'un plan de sortie sécurisé.
La honte est également un frein majeur. Beaucoup de victimes se sentent coupables de s'être «laissées piéger», de ne pas avoir vu venir la situation ou de ne pas réussir à partir. Elles peuvent aussi craindre le jugement des autres. C’est d’ailleurs dans ces cas que les services de soutien par clavardage et texto peuvent être privilégiés: ils permettent d'éviter l'exposition directe et l'accompagnement peut déconstruire ces idées en rappelant que la responsabilité repose uniquement sur l'agresseur.
Quel rôle peuvent jouer les proches dans ces situations?
L'isolement est l'un des éléments qui emprisonnent une victime dans une relation violente. Plus elle est entourée de proches bienveillants, plus elle aura de ressources pour envisager une sortie en sécurité. Or, le soutien de ses proches peut lui offrir un filet de sécurité.
Rester présent, offrir de l'écoute sans jugement et apporter un soutien, comme garder ses enfants ou ses animaux pendant qu'elle se rend en maison d'hébergement, peut faire une différence immense dans la vie de la victime. La situation des victimes est extrêmement complexe et épuisante. Plus elles ont de soutien, plus elles auront la force de prendre une décision en fonction de leur propre sécurité. Chaque geste compte pour leur redonner du pouvoir sur leur vie.
Loin d'être seul(e)s
Quelques témoignages - Tirés du site sosviolenceconjugale.ca
«Soirée entre filles. Je parle enfin de mon ancienne relation. Je comprends, à cause du regard de mes amies, que ce que je raconte n’est juste pas normal. C’est malsain, c’est horrible, elles en ont les larmes aux yeux. Je comprends l’ampleur. Je me mets à pleurer en plein restaurant. Plus tard, mon amie m’envoie le lien pour le questionnaire de SOS violence conjugale. Ça correspondait trop bien. J’ai lu les témoignages. J’aurais pu en écrire au moins la moitié. C’est ce qui m’a poussée à les appeler. [...] »
- Témoignage anonyme - 26 ans
«Je vais m'adresser à toi qui es en train de vivre cela. Moi aussi ç'a commencé comme toi: je suis tombée amoureuse d'un homme que je croyais parfait, je l'ai même marié. Ça n'a pas été long que la jalousie, la manipulation et la violence psychologique se sont installées. Il m'a fait croire longtemps que je n’étais pas à la hauteur. Il a même réussi à monter mes proches, sa famille, nos amis contre moi... J'ai subi de la violence physique, puis de la violence sexuelle (oui, le viol existe bel et bien au sein du mariage, mais personne n’ose en parler). Tu n'es pas folle, tu sais bien la différence... Tu le sens que c'est de la violence. Je sais que tu crois que tu es faible et que tu ne vaux rien sans lui, car il n'a pas arrêté de te le répéter, mais c'est faux. Je ne vais pas te mentir par contre, le chemin ne sera pas facile... Mais tiens le coup. Sois forte et, surtout, n'oublie pas que ta vie est précieuse et que tu as le courage nécessaire au fond de toi-même! La violence a brisé des choses en toi, mais tu en découvriras bien d'autres plus belles qui mettront un pansement sur ce qui est blessé.»
- Témoignage d'une femme anonyme
«Au début, j'ai eu peur. Puis mon partenaire s'est mis à me dire que j'exagérais toujours tout, que j'étais “dramatique”, que je me faisais des histoires, que je m'inventais des problèmes, etc. Au fil du temps, à force de la réprimer, de la refouler et de l'écraser, ma peur s'est tue. Un jour, mon partenaire m'a menacée avec un couteau et je n'ai rien ressenti. Rien du tout. Il avait réussi à débrancher mon système d'alarme. Le meilleur conseil que je pourrais donner à une personne qui se questionne aujourd'hui, c'est d'écouter sa peur.»
- Témoignage d'une femme - 35 ans
Pour plus de témoignages : sosviolenceconjugale.ca
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