Bye bye, «duck face»: les nouvelles poses qui la remplacent

Les moues blasées, les visages plissés par l’excitation ou les mâchoires contractées à l’extrême dominent les réseaux sociaux. Plus que de simples tendances, ces mimiques en disent long sur notre rapport à l’image, au corps et au Web.

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Si vous étiez sur Instagram dans les années 2010, il y a fort à parier que vous avez déjà immortalisé une duck face accompagnée d’un signe de paix. C’était le geste emblématique d’une génération qui découvrait les joies de la mise en scène de soi, à une époque où l’on ne se prenait pas trop au sérieux en ligne. 

Jugée flatteuse — parce qu’elle creusait légèrement les joues —, cette expression traduisait à elle seule l’esprit léger, un brin irrévérencieux, du Web d’alors. Mais en 15 ans — l’âge qu’a aujourd’hui Instagram —, l’Internet a grandi... et nous aussi. On fait le point sur les expressions de l'heure.

La duck face, symbole d’une génération

À l’époque où les millénariaux se sont initiés au Web avec des sites de clavardage comme MySpace, l’humour décalé et excentrique était de mise. C’était l’ère des «Rawr» et des «XD» (ceux qui savent, savent). Pendant ces années, s'exprimer de manière absurde et ludique en ligne était d’usage pour une génération devenue adulte dans un contexte incertain, après la crise financière de 2008, et qui découvrait tout juste les réseaux sociaux. Presque toutes les vedettes de l’époque, de Cara Delevigne à Kim Kardashian, affichaient cette fameuse tête de canard.

La génération Z (ceux nés de la fin des années 1990 au début des années 2010), du moins les plus vieux d’entre eux, ont aussi adopté la duck face pendant leur adolescence, au cours des années 2010. Mais peu à peu, celle-ci est devenue dépassée. Le Web prenant de plus en plus d’importance dans nos vies et notre image, les expressions se sont assagies et on a troqué la bouche en cœur pour une moue.

La moue boudeuse

À l’inverse de la duck face, la moue se caractérise par sa retenue. Pas d’expression enjouée, pas de peace sign; on manifeste plutôt de l’indifférence, tout en pinçant légèrement la bouche — les lèvres pulpeuses, elles, ne se démodent pas!

Cette évolution, on peut en partie l’expliquer par le changement du paysage politique vers la fin de la décennie. L’élection de Donald Trump en 2016 met fin à l’atmosphère indie et insouciante des années précédentes et la génération Z mature pendant une période de rupture soudaine. Comme résultat, l’ironie et la distance dominent l'humour en ligne. En plus, ils apprennent plus jeunes que leurs aînés quel est le pouvoir des réseaux sociaux.

Elle est donc finie, l’ère des réseaux sociaux comme simple moyen de s’amuser en ligne. Nos comptes font désormais partie de notre image. On montre toujours nos moments de folie, mais de manière calculée; nos publications doivent refléter l’ensemble de nos facettes. En égoportrait, la gen Z préfère donc se donner un air désinvolte. La lubie de la moue se solidifie dans les expressions blasées des jeunes stars comme Lily-Rose Depp, Billie Eilish ou Rachel Sennott.

Plisser son visage, ou le face scrunching

Ce n’est pas qu’une impression: aujourd’hui, les lubies du Web évoluent de plus en plus vite. Avec l’arrivée de TikTok, où le flot de contenu centré sur le visage des utilisateurs défile sans arrêt, les cycles de tendances se renouvellent, se démodent et se parodient à la vitesse grand V. Cette frénésie explique pourquoi il devient difficile de continuer à assigner une expression par génération.

Depuis 2020, on observe que bien des tiktokeuses adoptent le face scrunching en plissant leur nez et leurs joues pour afficher un air enjoué. Souvent, elles agitent aussi les mains des deux côtés de leur visage comme si elles sautillaient de joie, en déballant un colis ou en réaction à une bonne nouvelle, par exemple.

On est dans la performance, et l’expression de la passion capte l’attention du public, en plus de répondre aux impératifs de nos algorithmes qui récompensent le contenu sensationnel, que ce soit une crise de colère ou un débordement de joie. Fait intéressant: ces mimiques sortent même du Web. Les jeunes personnes chroniquement en ligne se trahissent en exécutant même cette expression d'excitation exagérée, qui ressemble à un cri silencieux, lors de conversations en personne.

Des mâchoires bien serrées

Le visage qu’on adopte en photo peut donc indiquer notre génération, mais il met surtout en évidence le groupe auquel on veut appartenir et l’impression qu’on veut donner. Sur les plateformes sociales, un autre type de pose est enseigné dans de nombreux tutoriels: le mewing.

Qu’est-ce que c’est? En appuyant sa langue fermement contre son palais, on replacerait légèrement notre mâchoire de façon à la rendre plus définie en photo et à réduire l’apparence du double menton. D’ailleurs, l’astuce en elle-même n’est pas nouvelle; beaucoup de photographes la conseillent depuis des décennies. Mais le mewing a connu une recrudescence particulière depuis quelques années.

La pandémie y est sans doute pour quelque chose: avec la soudaine importance de la vidéoconférence dans nos vies, notre reflet dans l’ordinateur nous ramène beaucoup à nos complexes faciaux. De plus, une mâchoire définie est souvent perçue comme un signe de maigreur. Il semble donc que la tendance du mewing s’inscrive dans un contexte où le culte de l’extrême minceur redevient décomplexé, notamment avec l'arrivée fracassante de traitements amaigrissants comme l’Ozempic.

Mais avant de faire son apparition dans de candides tutos sur le Web, il faut dire que le mewing a progressivement gagné en popularité dans un coin plus sombre de l’Internet; celui de l'androsphère et de ses partisans masculinistes, où les techniques pour définir toutes sortes de muscles sont très encouragées dans une optique d’optimisation du corps.

Le mewing y est promu comme pouvant avoir des effets permanents s'il est pratiqué à répétition. Mais, puisque tout circule sans frontières sur le Web et change de signification en cours de route, le terme s’est grandement généralisé et plusieurs le pratiquent sans en connaître l’histoire. Pour les femmes, se faire recommander ce genre de pose sur son fil d’actualité est anodin; après tout, nous sommes encouragées à optimiser notre apparence depuis notre naissance ou presque. Reste à déterminer si l’on apprécie l’aspect particulièrement sévère que confère le mewing au visage.

Lorsqu’on fait la chronologie des expressions d’égoportrait, une chose est claire: plus ça change, plus c’est pareil. On ne se lasse toujours pas des poses qui affinent et définissent les traits, et en attendant de se libérer des standards de beauté, on a toutes une expression fétiche qui nous fait sentir un peu plus en contrôle devant la lentille. Une duck face trahira-t-elle votre âge? Possiblement. Mais peut-être n’avez-vous simplement pas envie de vous prendre trop au sérieux, et c’est très bien comme ça.

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